Ingestion d’une pile plate Un risque potentiellement mortel ! // N° 126
Le nombre de cas d’ingestion accidentelle de pile bouton ou pile plate par des enfants augmente régulièrement chaque année. Coincées dans l’œsophage, ces piles provoquent rapidement de graves nécroses pouvant se compliquer en fistule œsotrachéale ou œso-aortique, de sombre pronostic.
Ces piles sont présentes dans tous les foyers car elles alimentent désormais de nombreux appareils électroniques domestiques : télécommandes, montres, clefs, jouets pour enfants, aides acoustiques, etc.
Accidentellement ingérées, les piles plates présentent un risque potentiellement mortel en raison de leur toxicité : le courant électrique généré par la pile en contact avec l’humidité des tissus provoque une hydrolyse rapide de l’eau en ions hydroxydes (pH très alcalin de 10-13), responsables de brûlures chimiques (nécrose liquéfiante) de ces tissus. Les enfants, en particulier ceux âgés de moins de 5 ans, sont les plus exposés au risque de complication potentiellement létale. En cas d’ingestion, il est donc primordial de réagir très vite.
La potentielle gravité de l’ingestion d’une pile bouton s’explique par les brûlures et la nécrose occasionnées par ce type de pile, en particulier lorsque celle-ci reste bloquée dans l’œsophage (« pile œsophagienne »). Ces brûlures sont particulièrement sévères du côté du pôle négatif de la pile (la partie non marquée).
Dans un modèle animal sur l’œsophage de porcelet, les premières lésions visibles apparaissent dès la 15e minute de contact avec la pile. Le risque de complication grave est particulièrement important dès la 2e heure après l’ingestion, ce qui implique une prise en charge en extrême urgence. Ce risque de complication grave est particulièrement important chez les enfants de moins de 5 ans et lors de l’ingestion d’une pile de grand diamètre (15 mm et plus), ainsi que lors de l’ingestion d’une pile puissante (pile au lithium).
Les lésions de nécrose liquéfiante au niveau de l’œsophage peuvent provoquer une fistule œsotrachéale (la plus fréquente des complications sévères), voire d’une fistule œso-aortique. Il est à noter que des complications peuvent apparaître plusieurs jours, voire plusieurs semaines, après l’extraction de la pile, ce qui justifie un suivi attentif de l’enfant lorsque des lésions nécrosantes ont été constatées lors de l’extraction. Parmi ces complications retardées, on peut citer des sténoses œsophagiennes, sous-glottales, voire trachéales (avec des cas de trachéomalacie signalés).
L’ingestion d’une pile bouton chez un petit enfant doit être suspectée lors de l’apparition inexpliquée de certains symptômes :
- dysphagie, refus de s’alimenter, vomissements ;
- toux, difficultés à respirer, douleurs thoraciques ;
- modification de la voix (les paralysies mono- ou bilatérales des cordes vocales sont fréquentes) ;
- salivation excessive;
- fièvre.
Les signes de gravité les plus fréquents sont :
- pâleur et malaise persistants ;
- vomissements sanguinolents;
- détresse respiratoire;
- instabilité hémodynamique.
Chez un petit enfant suspecté d’avoir avalé une pile plate, tout saignement digestif, même minime, des signes d’anémie ou d’instabilité hémodynamique doivent être considérés comme des signes précurseurs d’une lésion vasculaire d’extrême gravité.
En février 2022, la Haute Autorité de santé (HAS) et la Société de toxicologie clinique (STC) ont publié des recommandations sur la prise en charge d’un enfant ayant ingéré une pile bouton ou suspecté de l’avoir fait. Elles déterminent la bonne intervention au bon moment pour chacun des professionnels confrontés à la situation, dans le contexte de cette urgence extrême (lésions sévères dès la 2e heure après l’ingestion). Sans qu’une justification soit donnée, ces recommandations ne mentionnent pas les solutions d’atténuation du risque de brûlure (administration répétée de miel ou de sucralfate en attendant l’extraction de la pile) conseillées dans d’autres pays.
En effet, dans les deux heures après une ingestion connue, au domicile ou pendant le transport, le National Capital Poison Center (NCPC, centre antipoison national aux États-Unis), par exemple, recommande l’administration régulière (toutes les 10 minutes) de 10 mL de miel ou de sucralfate (10 mL = 2 cuillerées à dessert). Le miel ne concerne que les enfants âgés de plus de 12 mois. Les recommandations du NCPC suggèrent d’administrer jusqu’à 6 doses avant l’admission hospitalière et 3 doses supplémentaires en milieu hospitalier.
L’administration de miel ou de sucralfate est destinée à empêcher la génération locale d’hydroxyde, retardant ainsi les brûlures alcalines des tissus adjacents. L’efficacité s’appuie sur une étude de 2018 évaluant les effets protecteurs in vitro de divers liquides dans l’œsophage cadavérique de porc et les effets protecteurs in vivo du miel et du sucralfate par rapport aux irrigations salines de piles placées dans l’œsophage de porcelets vivants. Dans cette étude, le miel et le sucralfate ont tous deux empêché efficacement l’augmentation attendue du pH induite par les piles et ont réduit la profondeur des lésions œsophagiennes qui en résultaient.
Face aux risques élevés de cette ingestion de plus en plus fréquente, il est indispensable que les professionnels de santé de premier recours, y compris les pharmaciens, ainsi que ceux de la petite enfance, se familiarisent avec les symptômes et les signes de gravité et se préparent à agir rapidement face à toute ingestion suspectée ou confirmée, en particulier chez un enfant de moins de 5 ans.
VidalNews du 9 septembre 2022.